L'or liquide des alchimistes insulaires
Parmi les dégustations professionnelles
parisiennes considérées comme incontournables, beaucoup de confrères vous citeront sans hésiter
celle offerte depuis plusieurs années par l’Institut du Vin de laBroderie et de l’Artisanat de Madère (IVBAM). Le mardi 4 juin
c’est la salle de réception de l’OIV proche de l’Elysée qui accueillait cet évènement efficacement coordonné
par les sympathiques collaboratrices de l’agence Vinconnexion de Michèle Piron.
Surgie de l’Atlantique lors d’éruptions volcaniques à l’époque tertiaire,
l'archipel portugais de Madère, est un « cadeau de la nature » situé à plus de
600 km des côtes marocaines, garni de montagnes escarpées et verdoyantes
plongeant à pic dans l’océan. Depuis son origine coloniale au 15è siècle, le Vin
de Madère s’est forgé une renommée
internationale grâce à plusieurs évènements et personnages historiques auxquels
il fût associé : condamnation du duc de Clarence (frère du roi Edouard
IV d’Angleterre) à la noyade dans un tonneau de Malvoisie, déclaration
d’indépendance des Etats-Unis, exil de Napoléon à Sainte-Hélène, visites de
Winston Churchill sur l’ïle… De nos jours, l’appellation couvre environ 500 hectares de vignes nichées en
terrasses tout autour de l’île à des altitudes variant de 100 à 700 mètres,
cultivées par plus de 2000 viticulteurs qui livrent leurs raisins à 8 grandes entreprises de production, dont certaines ont conservé une dimension familiale.
La dernière venue est la Coopérative Agricole de Funchal (CAF) qui a lancé son
premier vin en avril 2016 et dont l’équipe est exclusivement constitué de
femmes (sauf le Président bien sûr !). Ces producteurs, pour certains représentés par leur œnologue réputé, avaient amené dans leurs bagages un panel de cuvées illustrant à la fois
les caractèristiques communes et la personnalité unique de ces vins mutés si finement
oxydatifs : chauffage en cuve inox (« Estufagem ») ou long élevage (jusqu’à
plus de 50 ans !) en fùts français ou américains (« canteiros ») entreposés à température élevée; équilibre
remarquable entre alcool (17 à 22%), douceur (sucre résiduel variant de moins de 50 à
plus de 100 g/l), vivacité (Acidité de 6 à 10 g /l) et minéralité (sols volcaniques) ; capacité de garde exceptionnelle, même une fois la
bouteille ouverte (plusieurs mois !); haut niveau qualitatif encouragé par le
cahier des charges particulièrement exigeant édicté par l’Institut du Vin de
Madère. Derrière cet air de famille indéniable se cachent, comme dans tout
grand terroir viticole, de multiples profils aromatiques liés à
l’environnement naturel, aux méthodes de culture, aux cépages, aux techniques
de vinifications, aux millésimes et à la durée de vieillissement. Les 6 principaux cépages (1 rouge, et 5 blancs dits "nobles") utilisés, par
ordre dégressif du pourcentage de surface plantée, sont : le Tinta Negra (54%),
seul cépage rouge, dominant dans les vins d’assemblage ; le Sercial (5%)
pour les vins secs ou extra-secs, le Verdelho (13%) pour les demi-secs, le
« Boal » pour les demi-doux, les 3 variantes de Malvasia (8%) pour
les doux ; et le « joyau » Terrantez (1%) pour l'élaboration des vins demi-secs ou demi-doux, avec une subtile pointe d'amertume en fin de bouche. Une passionnante masterclass, animée avec ferveur
par Rubina Vieira (formatrice à l'IVBAM), résuma parfaitement l’ensemble des spécificités conférant à
ces nectars une place à part dans le monde du vin. Parmi la cinquantaine
d’échantillons présentés cet après-midi-là certains ont laissé sur le palais
du sommelier une empreinte particulièrement marquante : Tinta
Negra Colheita 2005 Demi-doux de H.M. Borges (mariage heureux avec un ris de
veau ou d’agneau), Sercial Colheita 1997 de Justino’s Madeira Wines (fidèle compagnon
du saumon fumé à la crème), Verdelho 1981 de Henriques & Henriques
(partenaire idéal d'un foie gras au chutney), Terrantes 1980 de Blandy’s MadeiraWine (quintessence de noix, pour méditer
avec ou sans cigare), Malvasia 40 Anos de Barbeito Madeira (lune de miel avec le
caramel beurre salé). A l'occasion d'une dégustation à l’aveugle certaines cuvées
anciennes de type "doux", millésimées (« Colheita Harvest » - 5 ans, « Frasqueira/Garrafeira » - 20 ans) ou en "Solera", rivaliseraient certainement avec les plus meilleurs liquoreux jusqu’à faire vaciller sur son trône notre bon vieux "roi Yquem" ! Mais c’est autour d'un repas que le Vin de Madère révèle ses plus beaux atours, avec la remarquable
palette organoleptique offerte par ses différents styles. L'épicurien éclairé découvrira une infinité d’accords
harmonieux de l’apéritif au dessert qui atteindront leur apogée sur un plateau de fromages (Comté, Cantal, Mimolette,
Pâtes persillées...). Trop souvent cantonné au rôle de simple faire-valoir dans
la cuisine française, le Vin de Madère se révèle un parfait ambassadeur gastronomique de son île paradisiaque où le bonheur se trouve peut-être dans le verre...