Le Plaisir ET la Forme

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28.6.20

Semaine revisitée des Primeurs de Bordeaux 2019

Promis au firmament après un long "confinement"

Rive Gauche
Succédant au report des Grands Jours de Bourgogne, un autre évènement majeur du monde du vin a été victime de la pandémie du Coronavirus. Chaque année la première semaine d’avril, plus de 5000 professionnels affluent habituellement du monde entier vers le vignoble bordelais pour goûter en avant-première les vins issus de la récolte précédente. C’est également la période où les négociants de la « Place de Bordeaux » peuvent réserver auprès des Châteaux, par l’intermédiaire de courtiers habilités et grâce à un système "d'allocations" basé sur la confiance, les Grands Crus en cours d’élevage qui ne seront livrés qu’environ 2 ans plus tard (1er semestre 2022 pour le millésime 2019). La tradition des Primeurs remonte au 18ème siècle, même si sa forme actuelle a été institutionnalisée au début des années 80 sous l’impulsion notable du Baron Philippe de Rothschild. Depuis les années 90 l’évènement est piloté par l’Union des Grands Crus de Bordeaux qui regroupe 134 propriétés sur les plus prestigieuses appellations. Le Sommelier émérite Alain Ségelle, surnommé « le Loup blanc », s’apprêtait à participer à sa 35ème campagne des Primeurs lorsque la nouvelle de l’annulation est tombée. Il lui a fallu 3 semaines de travail acharné pour recomposer sa propre semaine, comme il le faisait du temps où cette manifestation ne faisait pas encore l’objet d’une coordination entre les différents acteurs de la « Place ». En compagnie d’Abderrazak Boussaha (autre fin connaisseur des vins de Bordeaux), j’ai eu le privilège d’accompagner ce dégustateur hors pair dans un véritable rallye de 5 journées à travers les vignobles. L’objectif affiché était de goûter (et recracher !) plus de vins que de kilomètres avalés sur les routes girondines, dans le scrupuleux respect des gestes barrières (et des limitations de vitesse !) : mission accomplie, au bout de 800 échantillons (bien loin cependant des 2500 d'avril 2016 pour les Primeurs 2015 !). En ce début de déconfinement "phase 2", nous faisions parties des rares parisiens à s’être déplacés sur site et avons bénéficié d’un accueil particulièrement attentionné des propriétaires et de leurs équipes. Sans "embouteillage", ni parking saturé, ni cohue cosmopolite, c’est dans le calme et la sérénité que nous avons découvert ce millésime tant espéré. A partir de notre hébergement amical à Fronsac chez le vigneron Paul Barre (pionnier de la biodynamie), nous avons suivi des itinéraires chronométrés entre Rive Gauche et Rive Droite (de la Garonne), à raison de 10-15 visites par jour dans les Châteaux et quelques Laboratoires d’œnologie qui nous ont permis de regrouper une partie de nos dégustations (remerciements à tous nos hôtes pour leur disponibilité en cette période compliquée !). En voici la chronologie avec la liste de tous les Grands Vins dégustés, majoritairement des Rouges en Grands Crus Classés (classement de 1855), celui du lieu de réception étant cité en premier pour chaque étape. La gamme des Vins Blancs (secs), parfois déjà mis en bouteille, nous a également été servie dans les Châteaux en produisant, notamment pour l'appellation Pessac-Léognan (3ème journée), ainsi que quelques liquoreux issus de domaines réputés appartenant au propriétaire qui nous recevait.

JOUR 1 (lundi 8 juin)1. Château Seguin (Pessac Léognan - Bio+) - 2. Laboratoire Oenoconseil de Pauillac : environ 70 échantillons Rouges et Blancs (secs et liquoreux) - 3. Laboratoire Œnologique Boissenot (Lamarque) : environ 50 échantillons Rouges - 4. Château Mayne Lalande (Listrac-Médoc)

JOUR 2 (mardi 9 juin) - 1. Château Lafite Rothschild (1er Cru Classé Pauillac) + sélections des Domaines Barons de Rothschild : Château Duhart-Milon (4ème CC, Pauillac) - 2. Château Mouton Rothschild (1er CC, Pauillac) + sélections des propriétés du Baron Philippe de Rothschild : ChâteauClerc Milon (5ème CC, Pauillac), Château d'Armailhac (5ème CC, Pauillac)  - 3. Château Montrose (2ème CC, Saint-Estèphe) +  sélections des propriétés de la Famille Bouygues - 4. Cos d'Estournel (2ème CC, Saint-Estèphe) + sélections de Michel Reybier - 5. Château Grand Puy Lacoste (5ème CC, Pauillac)  - 6. Château Haut-Batailley (5ème CC, Pauillac) + sélections des Domaines de la Famille JM Cazes : ChâteauLynch-Bages (5ème CC, Pauillac) - 7. Château Ducru-Beaucaillon (2ème CC, Saint-Julien) - 8. Château Langoa-Barton (3ème CC, Saint-Julien) + Château Léoville Barton (2ème CC Saint-Julien) - 9. Château Pontet-Canet (5ème CC, Pauillac - Biodynamie) - 10. Château Pichon Baron (2ème CC Pauillac) + sélections d'Axa Millésimes : Château Suduiraut (1er CC, Sauternes)  - 11. Château Lagrange (3ème CC, Saint-Julien - Biodynamie) - 12. Château Margaux (1er CC, Margaux) 13. Château Palmer (3ème CC, Margaux - Biodynamie) - 14. Château Dufort-Vivens (2ème CC, Margaux - essais en Biodynamie) + Château Ferrière (3ème CC, Margaux - Biodynamie) +  Château Haut-Bages (5ème CC, Pauillac - Biodynamie) - 15. Château Cantenac Brown (3ème CC, Margaux) - 16. Château Kirwan (3ème CC,Margaux).

JOUR 3 (mercredi 10 juin) - 1. Château Haut-Bailly Rouge (Grand Cru Classé de Graves, Pessac-Léognan) - 2. Château Haut-Bergey Rouge et Blanc (Grand Vin de Bodeaux, Pessac-Léognan - Biodynamie) - 3. Domaine de Chevalier Rouge et Blanc (GCC de Graves, Pessac-Léognan) + sélections d'Olivier Bernard - 4. Château Les Carmes Haut-Brion Rouge (Grand Vin de Graves, Pessac-Léognan) - 5. Château Pape Clément Rouge (GCC de Graves, Pessac-Léognan) et Blanc (Grand Vin de Graves) + Vins de Bernard Magrez : Château Fombrauge (GCC, Saint-Emilion), Clos de Haut-Peraguey (1er CC, Sauternes) - 6. Château Picque Caillou (Grand Vin de Graves, Pessac-Léognan) - 7. Château Belle-Vue (Cru Bourgeois Exceptionnel, Haut-Médoc) - 8. Château PichonLongueville Comtesse de Lalande (2ème CC, Pauillac - Biodynamie parcellaire) - 9. Château Meyre (Cru Bourgeois, Médoc - Bio) - 10. Château Siran (Margaux) - 11. Au domicile de Paul Barre :  environ 12 échantillons Rouge et Liquoreux  collectés chez Ulysse Cazabonne (Margaux) : Château Pavie Macquin (1er GCC, Saint-Emilion), Château Cos Labory (5ème CC, Saint-Estèphe), Château Chasse-Spleen (Moulis en Médoc), Châteaude Fargues Lur Saluces (Sauternes). 
Nous en avons presque fini avec les visites Rive Gauche, sans avoir eu le temps de descendre dans le Sauternais où nous étions pourtant les bienvenus. En guise d'intermède, avant de passer Rive Droite, quelques remarques techniques susceptibles d'intéresser le professionnel comme l'amateur éclairé. Tout d'abord nous avons unanimement observé de sensibles variations de nos appréciations gustatives entre le lundi (temps chaud et lourd) et le mardi (temps frais et sec), confirmant l'affirmation de Pascaline Lepeltier (Meilleure Sommelière de France 2018) que "ce qui influence le plus la dégustation est la pression atmosphérique". Les hautes pressions de la 2ème journée ont nettement amplifié les qualités (et les rares défauts !) aromatiques des vins. Pour la mise en valeur de vins primeurs, aux Indices de Polyphénols Totaux (tanins, anthocyanes…) frôlant parfois les records en 2019, les 2 verres les plus utilisés dans les propriétés sont le Zalto "à Bordeaux"  et le Sydonios "Esthète" (mon préféré). Grâce à leurs caractéristiques techniques, notamment une grande capacité et un large buvant, ils favorisent une oxygénation rapide et maîtrisée pour mieux révéler les saveurs de ces "bébés" encore en gestation. Il faut également tenir compte que les 2 mois de décalage par rapport au calendrier habituel des Primeurs ont permis aux vins de mieux se stabiliser après les fermentations. 

JOUR 4 (jeudi 11 juin) - 1. Château Canon La Gafellière (1er GCC, Saint-Emilion) + sélection des Vignobles Comtes Von Neipperg : La Mondotte (1er GCC, Saint-Emilion), Clos de l'Oratoire (GCC, Saint-Emilion) - 2. Château Troplong Mondot (1er GCC, Saint-Emilion) - 3. Château Figeac (1er GCC, Saint-Emilion) - 4. Château l'Evangile (Pomerol) - 5. Château l'Angélus (1er GCC A, Saint-Emilion - HVE 3) + sélection Famille de Boüard de Laforest : Château Bellevue (GCC, Saint-Emilion) - 6. Château La Confession (GC, Saint-Emilion) + sélection des Domaines de la Famille Janoueix : Château Haut-Sarpe (GCC, Saint-Emilion), Château La Croix Saint Georges (Pomerol) - 7. Château La Tour Figeac (GCC, Saint-Emilion - Biodynamie) + Château Grand Corbin-Despagne (GCC, Saint-Emilion - Biodynamie) - 8. Laboratoire Michel Rolland (Pomerol) : sélection d'environ 60 échantillons dont Château Lascombes (2ème CC, Margaux) - 9. Château Beau-séjour Bécot (1er GCC, Saint-Emilion) - 10. Château de Pressac (GCC, Saint-Emilion - Bio NC) + environ 40 échantillons du Grand Cercle des Vins de Bordeaux 11. Derenoncourt Consultants (Sainte-Colombe) : environ 30 échantillons (Bio en majorité) - 12. Oeno Lab / Hubert de Boüard Consulting (Montagne) : environ 50 échantillons.

JOUR 5 (vendredi 12 juin) - 1. Château Cheval Blanc (1er GCC A, Saint-Emilion), Le Petit Cheval (GCC, Saint-Emilion) - 2. Château La Conseillante (Pomerol) - 3. Château L'Eglise Clinet (Pomerol) + sélection vignobles Denis Durantou - 4. Château Clinet (Pomerol) + sélection de Ronan by Clinet - 5. Vieux Château Certan (Pomerol) - 6. Château La Fleur de Gay (Pomerol)- 7. Château Quintus (GC, Saint-Emilion) + sélections Domaine Clarence Dillon Rouges et Blancs : Château Haut Brion (1er GCC, Pessac-Léognan) - 8. Jean-Baptiste Audy (Négociant, Libourne) : environ 50 échantillons - 9. Château Tertre Roteboeuf (GC, Saint-Emilion) + sélection à base de Merlot de la Famille Mitjaville - 10. Château Tayac (Côtes de Bourg) : échantillons de cuves non assemblées + sélection de plusieurs millésimes de la Cuvée Prestige.
Rive Droite
Pour plus de détails et avis sur chacune des cuvées mentionnés ci-dessus, se référer aux copieux commentaires Primeurs de mon compère Alain Ségelle (alainsegellewines@yahoo.fr) qui se fera une  joie de vous les transmettre et de vous faire profiter des "allocations" dont il bénéfice sur plusieurs d'entre elles (il n'y en aura pas pour tout le monde !), ainsi que sur des vins à l'étiquette moins alléchante mais offrant d'excellents rapports Qualité-Plaisir/Prix. Si personne ne s'aventure à qualifier 2019  de "millésime du siècle" quelques éminents spécialistes n'hésitent pas à évoquer une parenté avec d'illustres prédécesseurs en "9" comme le "légendaire" 1929 ou le "très grand" 1959. Tout le monde s'accorde cependant pour reconnaître des conditions climatiques optimums qui ont facilité l'élaboration de vins présentant un équilibre quasi parfait entre fraîcheur et concentration, pureté et complexité, finesse et puissance, buvabilité et potentiel de garde. On le retrouve plus particulièrement dans les Grands et  Seconds vins rouges, notamment lorsqu'ils intègrent des parcelles ayant bénéficié avant vendanges des 30 mm des pluies providentielles tombées juste après l'équinoxe et qui ont tempéré les degrés alcooliques. Rarement Cabernets Savignons et Merlots avaient formé des couples aussi fusionnels, sublimés par des Cabernets Francs à leur apogée et des Petits Verdots épanouis. Dans certaines cuvées des 2 Rives, on retrouve des arômes gourmands de cacao mentholé, surement une réminiscence originale du "so british After Eight" ! Egalement bénéficiaires de ce contexte global favorable, les Blancs secs affichent un profil fort harmonieux quoique plus classique. Les quelques liquoreux goûtés offraient de voluptueuses notes miellés et confites, pour de savoureux accords avec une tarte au citron meringuée ou des pâtisseries orientales, le passerillage ayant vraisemblablement pris le dessus sur un botrytis tardif apparu vers la mi-octobre pour les dernières tries. En plus de la remarquable homogénéité de ce "millésime d'équilibriste" sur tous les secteurs, on apprécie les progrès qualitatifs réalisés ces dernière années. De nombreux Domaines s'orientent vers une viticulture et des vinifications plus respectueuses de l'environnement et des consommateurs, en adoptant le label HVE ou la conversion progressive en bio (et parfois en biodynamie). Ronan Laborde, le sympathique et dynamique nouveau Président de l'UGCB (élu en février 2019), affirmait dans une récente interview au journal Le Figaro que "d'ici quelques années nous serons tous en bio". Tout en restant fidèle à l'identité des appellations, les Propriétés s'attachent à révéler l'identité de leurs terroirs ("à la Bourguignonne" !), interprétée en fonction du style propre à chacune d'entre elles. Indéniablement cette démarche vertueuse à la vigne et au chai se traduit dans le verre, n'en déplaise à l'honorable mais controversé "Mister Parker", par des goûts plus nets ainsi que des vins plus vibrants et digestes. Formons des vœux pour que cette louable (r)évolution inspire dans l'avenir l'essentiel de la production (des Crus Bourgeois aux "Bordeaux génériques"), encore trop souvent altérée par le surdosage en soufre, l'abus de levures sélectionnées et un boisé trop marqué. Des prix de mises en marché de 5 à 30% inférieurs au millésime précédent, avec des rendements dans une bonne moyenne (autour de 40 hl/ha), sont autant de bonnes raisons pour mettre en cave ces nectars. A l'issue d'un printemps bouleversé par la crise sanitaire des humains, les vignerons girondins sont déjà confrontés à la pression sanitaire sur le matériel végétal (menace de mildiou suite aux violents orages de début mai) avec un millésime "vin-vin" s'annonçant d'une rare précocité. Sans être devins, nous sommes repartis du Bordelais conquis et convaincus de l'avenir prometteur de ces Primeurs 2019 que nous n'aurons pas dégustées en vain...

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