Le Plaisir ET la Forme

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18.12.18

Si la Romanée m'était contée

Initiation à la mystique d'un Domaine mythique


« Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es ». Cette citation tirée du "Prince" de Nicolas Machiavel (1469 – 1527) pourrait fort bien illustrer la perception du légendaire Domaine de la Romanée Conti (DRC pour les intimes) par le grand public. Une opportunité rêvée de découvrir les joyaux longtemps entrevus derrière ces 3 initiales magiques s'est enfin offerte le jeudi 13 décembre dernier, avec la présentation du millésime 2015. Cet évènement, organisé chaque année dans la cave voûtée de l’école de dégustation Grains Nobles et Plus dirigée par Pascal Marquet (lieu prédestiné à deux pas de l’église Saint-Séverin où mes parents ont célébré leur mariage !) réunissait une trentaine d’heureux élus ayant pu réagir instantanément à l’invitation reçue début août. Il se déroulait en présence d’Aubert de Villaine, co-gérant du Domaine depuis 1974, entouré de Michel Bettane, expert en vins co-auteur d’un guide réputé, et de Bernard Burtschy, dégustateur émérite et Président de l'Association de la Presse du Vin. La soirée démarre par une brève introduction sur les caractéristiques du millésime : « l’un des plus parfaits que j’aie connus » précise de sa voix discrète et posée Aubert de Villaine, « l’un des plus grands des 40 dernières années » renchérit avec ferveur Michel Bettane. En résumé 2015, qui fait honneur à l'inscription le 4 juillet des climats du vignoble de Bourgogne au patrimoine mondial de l'UNESCO, se distingue par : un temps globalement sec et chaud, accompagné d'un vent du nord bénéfique et parsemé de quelques violents épisodes pluvieux fort opportuns – des vendanges concentrées entre le 4 et le 14 septembre – la maturité extrême des raisins (mais sans aucune sur-maturité) autorisant des vinifications en vendange entière (pour 70% de la récolte) en vue d'apporter de la fraîcheur sur le long terme (millésime de grande garde ?) – une montée à 35° des raisins dans les cuves sans intervention pour les refroidir - des fermentations puissantes et exceptionnellement longues (21 à 23 jours) du fait des teneurs importantes en polyphénols et de la richesse en sucre – une mise en bouteille entre février et avril (2018) par lune descendante et décroissante avec une pression atmosphérique haute – un nez déjà bien expressif (arômes de réduction non amers) exhalant le fruit avec des tanins amples en bouche, le côté solaire l’emportant à présent sur le profil chaud du millésime. Toutes les cuvées 2015 du Domaine (voir photo) ont été dégustées au cours d’une fabuleuse horizontale de deux heures en quasi lévitation. AU PROGRAMME : Marsannay « Vielles vignes » Dominique Laurent – juste pour aviner les verres avant de passer aux Grands Crus DRC; Corton Grand Cru « Prince Florent de Mérode » - en guise de mise en bouche flamboyante, assemblage de 3 « climats » (lieux-dits) contigus  pris en fermage en 2008 sur la Côte de Beaune (4583 bouteilles récoltées) ; Echézeaux GC – très différent des Grands Echezeaux dont il n’est pourtant séparé que par un simple chemin, 100% vendange entière (25 hl/ha, 13758 bouteilles) ; Grands-Echézeaux GC – terroir plus argileux et profond qu’Echézeau (30 hl/ha, 12672 bouteilles) ; La Romanée-Saint-Vivant GC « Marey Monge » - issue de parcelles déjà exploitées par les moines de l'abbaye éponyme il y a un millénaire, plus minéral et « viril » (26 hl/ha, 1677 bouteilles » ; Richebourg GC – voisin de la Conti, chaleureux et avec les mêmes arômes de poivron (24 hl/ha, 10185 bouteilles) ; La Tâche GC Monopole (mention rare indiquant que le « climat » appartient à un seul propriétaire) – superbe harmonie gustative (25 hl/ha, 16644 bouteilles) ; Romanée-Conti Grand Cru Monopole (recueillement dans la salle !), servi dans le verre ad hoc (Riedel "Veritas Old World Pinot Noir") – la pureté, le soyeux, les notes et la vibration subtiles d’un pétale de rose sublime (22 hl/ha, 4831 bouteilles moins les 2 bues ce soir-là !) ; et (tradition bourguignonne oblige !)  nous concluons par le blanc Montrachet GC – bois magnifiquement intégré, « tellement grand qu’on se demande comment il pourrait devenir meilleur ! » s’exclame en forme de louange ultime François Audouze, célèbre fondateur de l’Académie des Vins anciens (30 hl/ha, 2579 bouteilles). Le service attentionné de chaque cuvée par l'équipe de Grains Nobles est entrecoupé d’un intermède, donnant aux participants la possibilité de poser des questions et aux intervenants de partager leurs commentaires éclairés : un des secrets du Domaine réside dans la typicité des levures et bactéries indigènes de la cave – l’élevage en fût de chêne neufs (tonnellerie François Frères), sélectionnés pour la finesse du grain de leur bois et mis en service après 3 ou 4 années de séchage avec brûlage long, optimise les échanges avec l’extérieur – le choix d’un rendement modéré de la vigne, adapté à chaque millésime, favorise une intensité aromatique préservant le vin d'un marquage excessif par le bois – la sélection particulièrement rigoureuse à la vendange, puis sur la table de tri où seuls les raisins restant sur la partie centrale parviennent dans la cuve (les grains exclus servent à élaborer un rosé et un rouge « interne » pour le personnel !). Ces propos et informations recueillis sur le vif permettent de mieux appréhender la renommée internationale prestigieuse de la Romanée-Conti qui atteint des prix vertigineux (une bouteille de 1945 adjugée à 558 000 euros lors d'une récente vente aux enchères à New-York !), aux antipodes de  l’humilité et l’abnégation de tous ceux qui œuvrent au quotidien depuis des générations à son avènement annuel. Dans le remarquable film documentaire sorti en 2011, « Quatre saisons à la Romanée-Conti » (revu à la maison avec beaucoup d'émotion à l’issue de cette présentation), l’écrivain David Cobbold explique que c’est « l’implication humaine et l’accumulation des détails qui distinguent un très Grand Vin d’un très bon vin ». Parmi ces détails on peut citer la « prise de conscience forte » par Aubert de Villaine, « qu’il est impossible de ne pas être en bio dans un Domaine qui produit des Grands Crus » : après une quinzaine d’année d’expérimentation discrète, toutes les parcelles bénéficient  depuis 2007 de l'approche biodynamique. Un autre point remarquable mentionné par Christian Canales, généreux collectionneur de grands vins présent dans la salle, est l'aptitude de la Romanée-Conti, sur des années jugées peu dignes d'intérêt par une grande partie de la presse spécialisée comme 1975 (à l'instar de 2007), à révéler près d'un demi-siècle plus tard ses parfums extraordinaires de rose fanée si singuliers (bravo à ceux qui ont eu l'intuition de mettre en cave ces 2 millésimes !).  Le Domaine a l’immense mérite de continuer inlassablement à produire, grâce à un travail d'orfèvre, d'authentiques cuvées de terroirs où « la personnalité du vin est plus importante que ses arômes », sans se laisser entraîner dans la dérive mondialiste des vins de séduction frôlant parfois le racolage. Il en résulte un « nectar des nectars » dont chaque goutte transmet le « message du vin », si cher à l'inspiré caviste Bruno Quenioux (Philovino) qualifié par Aubert de Villaine « d’homme rare », indiquant le chemin de l’ivresse de l’âme à celui qui le boit en conscience. Fruit de l’union alchimique entre l’énergie lumineuse céleste, la force nourricière terrestre et la main de l'homme, les cuvées du Domaine de la  Romanée Conti sont de précieux breuvages qui suscitent, sans se départir de leur part d'insondable mystère, le sentiment exaltant d'avoir goûté un instant sacré d'éternité.

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