Le Plaisir ET la Forme

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18.11.23

Escapade Festive automnale en Bas-Berry

Les 70 ans bien arrosé d'un enfant de Saint-Août

Cela fait une bonne dizaine d'années que j'ai fait la connaissance d'Alain Ségelle, Sommelier émérite, puis formateur pendant 20 ans, au sein du Centre d'Information, de Documentation et de Dégustation (CIDD) qu'il avait fondé, de près de 20.000 professionnels et amateurs de tous horizons (filiale au Pérou, etc.) dans le Monde Vivant du Vin. Depuis nous avons parcouru ensemble autant de milliers de kilomètres que goûté d'échantillons dans des centaines de dégustations ou repas gastronomiques (il conduit aussi vite qu'il déguste, d'où le voeu formulé qu'il respecte dorénavant les 70 km/h !). Dimanche 12 novembre, après une étape à Montargis pour la fête annuelle de l'association Espérance 92 fondé par le réputé Guérisseur Jean-Claude Collard, direction le Berry, région de la France profonde où l'on trouve encore de nombreux magnétiseurs et rebouteux, mais surtout réputé pour abriter la maison de l'écrivaine George Sand. Sur ma route buissonnière escale à Vailly-sur-Sauldre, une bourgade du Grand Sancerrois (Cher), pour une délicieuse collation café et gâteaux au citron "Janine" (la grand-mère) au Cerf, ancienne Auberge récemment rénovée en Bar à Vins et Résidence hôtelière grâce à un remarquable financement participatif et solidaire. En fin d'après-midi je pose mes bagages dans l'accueillant et confortable Gîte rural La Cabane parfaitement aménagé par Dominique et Véronique, perdu au milieu du bocage berrichon (que j'ai eu du mal à dénicher, étant dépourvu de GPS) où des amis qui ignorent ma venue avaient réservé la chambre voisine de la mienne ("Rêve Bleu"). 
Souhaitant lui faire une surprise j'avais informé mon ami Alain, prétextant d'un état de convalescence suite à ma longue hospitalisation estivale, que je ne pourrai participer à ses 3 jours de festivités. Le temps de revêtir mon déguisement de sommelier gâteux, boiteux, mal voyant et bègue je file dare-dare vers la salle des fêtes de Saint-Août située à une quinzaine de kilomètres (sans radar !) de mon gîte. Un orchestre folklorique anime la fin du copieux repas servi aux nombreux invités venus des 4 coins de France et même de l'étranger. Je croise plusieurs relations, régulièrement fréquentées sur Paris, qui ne me reconnaissent pas et me proposent même de me servir à boire au vu de mon état de déliquescence. Ce n'est que lorsque je commence à siroter sans vergogne la Chartreuse Verte VEP 1995 que l'on s'intéresse plus particulièrement à mon cas et que je suis enfin démasqué par le héros de la fête. Cette première journée s'achèvent par une réconfortante soupe aux cucurbitacées. 
Le lendemain les agapes reprennent de plus belle avec sur les buffets pléthore de spécialités locales : terrines de gibiers variés, crème à l'ail des ours, fromages de chèvres à différents degrés d'affinage, galettes berrichonnes (mais pas cochonne), coq "en barbouille" (par Yolande Templier), ainsi qu'une abondance de légumes frais du jardin (pour se donner bonne conscience !). Plus de 70 vins de toute nature (effervescents, blancs, rosé, rouge, liquoreux, spiritueux) et appellations (souvent en bio/biodynamie) sont alignés sur l'immense tablée, avec une majorité de grands vins du Bordelais, ainsi que les jolies bougies artistiques ou fantaisie apportées par chacun des participants.  Parmi ses nectars dont les millésimes s'étalent de 1953 à 2022, j'ai plus particulièrement apprécié un magnum de la Cuvée Prestige de Château Tayac 2010 (un des "chouchous" de longue date d'Alain) en présence du Maître de Chai Loic Saturny, un Haut-Marbuzet 1999 Cru Bourgeois Exceptionnel de Saint-Estèphe (parfait accord avec un Brie de Meaux au lait cru), un Gruaud Larose 1983  (Alain avait 30 ans à l'époque !) 2ème Cru de Saint-Julien, des châteauneuf-du-Pape de la décennie 90, quelques Grands Crus et 1er Crus bourguignons, le subtil Crémant d'Alsace "Emotion" de Philippe Schaeffer (50% Pinot Blanc / 50% Chardonnay, avec un élevage sur lattes de 2 ans) et une sympathique Clairette de Die Tradition de la maison Poulet et Fils (en présence du Vigneron Alain et de son épouse). Pour mettre un peu d'animation en fin de journée, j'avais prévu une première dégustation à l'aveugle quelque peu piégeuse. En traversant un village du Loiret le 11 novembre, j'avais acheté la nuit tombée dans une épicerie tenue par le sympathique Omar (qui ne m'a pas tué !) la bouteille la moins chère, un Julien Damoy, vin rouge de la Communauté Européenne à 2,60 €. Je l'avais ensuite transvasé dans une bouteille vide portant la mention "Le VIN DE MERDE - Le pire...cache le meilleur - Vin de Merde - LE VIN DES PHILOSOPHES", dont le libellé provocateur cachait en fait un rouge du Languedoc fruité aux tanins arrondis et aux parfums plutôt savoureux, acheté environ 10 € dans un supermarché. Ce "nectar" de la CEE est servi recouvert d'une chaussette noire à la vingtaine de convives encore présents en leur demandant leur avis sur son pays d'origine, son appellation, ses cépages et son âge. Nous allons alors nous balader des Côtes du Rhône jusqu'en Afrique du Sud en passant par l'Ukraine, de la Syrah au Pinotage, et d'un vin dans sa jeunesse à un vin vieux fatigué. Les réponses les plus pertinentes viennent d'Alain Ségelle (un vin italien de 2016 ou 2107) et surtout d'une artiste canadienne "innocente" (Donna Acheson-Juillet) qui décrète que c'est un "vin européen". Fort heureusement personne ne l'a trouvé excellent, mais aucun n'a osé (peut-être pour ménager ma susceptibilité) affirmer qu'il s'agissait d'un véritable "pisse-froid", et (presque) tout le monde a bien rigoler de cette farce qui rend les meilleurs professionnels bien humbles face la dégustation d'un vin anonyme. Je me ferai pardonner cette filouterie s'apparentant à un crime de lèse-majesté dès le lendemain.
Le mardi 14 est le jour anniversaire d'Alain et celui choisi pour les intronisations à la "Confrérie des Culs d'Ours et des Cabinets d'Vignes en Pays de George Sand". Malgré ma présence non prévue on m'a fait l'honneur de figurer parmi les 8 postulants après m'avoir demandé de présenter un dossier de candidature motivé (réalisé les 2 courtes nuits précédentes). Les membres de l'honorable Confrérie sont présents en grand apparat et font venir 3 par 3 les impétrants dont ils présentent les temps forts du parcours de vie assaisonné par 2 anecdotes croustillantes qu'ils ont fournies préalablement aux Grands Maîtres et Grands Chevaliers. Je suis le dernier à passer et à se voir remettre le diplôme de Chevalier, la médaille et le pin's de la Confrérie avant de prêter serment de défendre pour le restant de mes jours ses valeurs de TERROIR. Cette cérémonie est suivi d'un ultime déjeuner convivial à l'issu duquel je propose une deuxième dégustation à l'aveugle en versant à tous les convives 1ml d'un spiritueux aux reflets ambrés et aux arômes incroyablement gourmands et complexes. Quelques connaisseurs pensent qu'il s'agit d'un grand Cognac, Armagnac ou Calvados, mais on s'oriente rapidement vers un vieux Rhum. La parole est laissée dans un silence respectueux à l'Homme du jour, "Meilleur Nez d'Europe 1988" ("Noeud" pour certaines !). Maître Ségelle esquisse un sourire de ravissement en humant le nectar et nous annonce ému : "Vieux rhum antillais, plutôt martiniquais, d'au moins 50 ans d'âge et probablement un Trois Rivières ; j'adore !" J'enlève la chaussette sous les applaudissements de l'assistance. Il a tout bon sauf le millésime (1953, le premier de l'histoire de la célèbre distillerie) ce qui est normal vu l'énergie qu'ils déploient encore à leur âge (le Rhum et Alain !). Approche l'heure de nous quitter et, après avoir rangé la salle, une dernière surprise attend les rescapés des festivités : la cristalline cuvée Roederer B de B Brut Nature 2012 signée Philippe Stark suivie d'un Château Climens 1953, 1er Cru Classé de Sauternes-Barsac, au nez envoûtant et à la bouche subtile encore pleine de vivacité qui nous a fait entrevoir le "nirvana". A l'issu de ces trois jours de bombance sous les meilleures auspices célestes de Saint-Août (averses incessantes et bourrasques de vent annoncées à 70 km/h !), tels qu'Alain n'en avait pas vécue depuis l'anniversaire de ses 15 ans, nous garderons tous un souvenir éternel des 70 bougies d'un "p'tit gars de nout' Berry", né sous le signe du Scorpion et devenu, à force de travail et de ténacité, un éminent Sommelier d'envergure internationale... RJV

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